LETTRE DE BALTHAZAR (37)

De Paradise Island (Bahamas) à Little Big Cay (Bahamas)

du Dimanche 22 Mai au Jeudi 26 Mai 2011

Il fait encore totalement nuit. La mer est faiblement éclairée par une demi lune légèrement voilée qui ne laisse pas de reflets. A cinq heures du matin ce Lundi 23 Mai, l’île de Great Abaco se profile et laisse apercevoir quelques lumières éparses. La traversée d’une centaine de milles de Providence North Channel, a été effectuée d’un seul bord au près serré, nuit agréable malgré cette allure généralement inconfortable car la brise est modeste et la mer peu agitée. On distingue en approche les tâches sombres des nombreuses Cays (petites îles et îlots) qui bordent la grande île du Nord des Bahamas. Les seuls détails que l’on distingue sont les tâches blanches des petites plages sur les Cays. Eckard, on n’y voit pas assez pour franchir une des passes traversant l’immense reef (une cinquantaine de milles) qui abrite, entre l’océan et cette île très allongée, la mer d’Abaco. En effet malgré notre approche prudente de North Bar Channel à moins d’un mille de distance Chub Rock, un récif au ras de l’eau qu’il faut laisser impérativement à tribord dans la passe, demeure invisible dans la nuit.

Sans radar je ne peux valider le bon calage de la carte par rapport à la position GPS, des erreurs de 3 à 400 mètres étant monnaie courante dès que l’on quitte les sentiers battus. Demi-tour et ronds dans l’eau jusqu’au jour. C’est peut-être la première ou deuxième fois que je renonce à entrer de nuit dans un lieu inconnu, mais les reefs ont mis en danger plus d’un marin chevronné qui y ont perdu leur bateau ; méfions-nous donc.

Le ciel rosit et les balles de coton blanc des petits nuages des alizés rougeoient à cette heure. On localise maintenant clairement la gerbe d’écume qui s’élève au-dessus de Chub Rock, récif plat qui découvre à ce moment à moins d’un mètre au-dessus de l’eau, ainsi que la ligne de récifs invisibles, sur lesquels brise la houle atlantique, qui s’étend bien à son Nord. Il n’y a pas de doutes, la bonne passe est bien là immédiatement à son Sud mais sans trop s’approcher des hauts fonds qui la bordent à une centaine de mètres plus au Sud, le sondeur est bien cohérent avec la carte, attention aux forts courants qui en sortent, pas nécessairement dans l’axe, allons-y en douceur.

A 6h45 l’ancre plonge sur un fond de sable transparent devant Sandy Cay, petite île déserte à l’intérieur de cette sorte d’immense lagon turquoise de 2 à 4m de profondeur moyenne, que constitue la mer d’Abaco, mer encombrée de récifs coralliens et de bancs de sable baladeurs, parsemée de Cays dont la plupart sont inhabitées. A nous un solide petit déjeuner avant de prendre un complément de sommeil.

Je vous avais laissés sur Paradise Island dans la Hurricane Hole Marina. Grosses bagnoles américaines, belles villas, un grand hôtel rose aux formes invraisemblables, mégayachts avec des noms peints suivant des dessins flashy incroyables (la discrétion n’est pas leur fort), jardins et drives impeccables bordés de palmiers et de greens soignés, la clim partout, pas de doutes nous sommes bien en territoire conquis par les riches yankees. Seule la circulation à gauche rappelle que les Bahamas étaient britanniques et demeurent au sein du Commonwealth en prêtant allégeance à the Queen. La population locale, essentiellement noire, est souriante et accueillante, à l’exception de la fille chichi qui se fait les ongles confortablement installée dans le vaste bureau climatisé, digne d’un PDG américain, qui est l’office de la marina.

Le soir de notre arrivée B&B (Bertrand et Bénédicte) nous font la gentillesse de nous inviter à dîner dans le Marina Village voisin où nous nous rendons à pied, bizarrerie dans ces contrées américanisées où des gens obèses prennent leur bagnole pour parcourir 300m. D’ailleurs rien n’est prévu pour les piétons et il faut cavaler pour franchir les drives et autres roundabouts. Nous fêtons, avant le départ d’Anne-Marie et du leur Samedi 21, la réussite de cette croisière de la Martinique aux Bahamas, via les Saintes et les îles Vierges Britanniques, dans une sorte de DisneyLand entourant une marina voisine blottie à l’intérieur de la terre, encore plus luxueuse que la nôtre. Les mégayachts et leurs lumières y atteignent des sommets du mauvais goût mais cette ambiance totalement artificielle est compensée par l’animation bon enfant des familles de population mélangée se promenant accompagnés par de la musique Reggae nonchalante dispensée par des orchestres de rue.

Nous retrouvons en rentrant au bateau Mimiche, voyageuse infatigable, qui descend du taxi, arrivant de Nantes, via Paris et Miami. Elle y a laissé JP qui se repose de sa très longue croisière depuis Rio Grande do Sul jusqu’au Marin en Martinique (soit 42OO milles quand même) et va entourer sa mère âgée à Bordeaux dont il s’occupe beaucoup. Un grand merci encore JP de m’avoir ainsi aidé efficacement pour ramener Balthazar du Grand Sud.

Samedi matin 21 Mai. Anne-Marie et B&B nous quittent en forme vers 9h30 pour prendre leur taxi pour l’aéroport de Nassau, direction Paris via Miami, satisfaits de leurs trois semaines de navigation dans ces eaux transparentes. Courses, bricolages divers, chargement de cartes américaines de la NOAA sur le PC de secours, soirée animée du Samedi soir dans Marina Village où un groupe costumé en marionnettes géantes et colorées, énergique fanfare munie d’instruments à vent cabossés dont un énorme tuba, enchaîne un rythme endiablé de carnaval en entraînant la foule.

Dimanche matin 22 Mai 10 h, appareillage par temps splendide et vent faible de Paradise Island cap sur la mer d’Abaco et le Nord des Bahamas.

Nous voilà donc à Sandy Cay. Après un petit repos matinal nous déplaçons Balthazar d’une paire de milles pour aller mouiller par 2m de fond dans une eau cristalline devant une petite plage toute blanche, découvrant une langue de sable fin et bordant une petite Cay inhabitée. Baignade relaxe par très beau temps et petite promenade pour voir les ruines de ce qui fut une cabane de Robinson sous les cocotiers. Seuls restent quelques murets en pierre de corail. Le bush est jeune, un gros arbre blanchi gît totalement déraciné, un peu plus loin le bush disparaît et sur plusieurs centaines de mètres tout sable,terre végétale et végétation ont disparu, comme nettoyés par un gigantesque aspirateur, laissant à nu des anciens récifs coralliens remontés à deux ou trois mètres au-dessus de la mer (les marées ici sont de l’ordre du mètre). Manifestement un cyclone est passé par là. D’ailleurs depuis notre départ de la Martinique, le long des Caraïbes, des îles Vierges et des Bahamas, il n’y a pas d’île épargnée par ces vents d’ouragans associés à des mers démontées et hautes qui les ravagent tour à tour périodiquement. Chacune évoque avec ses cicatrices des noms tristement célèbres : Hugo, Luis, David, Bertha, Floyd, Lenny, Isabel, Andrew, Rita, Wilma, Katrina….

Les météorologues classifient les phénomènes cycloniques (terme lié au mouvement circulaire des vents autour de l’œil) en trois stades :

- dépression tropicale générant des vents inférieurs à 34 nœuds (force 7)

- tempête tropicale de 34 à 63 nœuds (force 8 à 11)

- ouragan : vents supérieurs à 63 nœuds

Les ouragans sont eux-mêmes classés en 5 catégories :

- catégorie 1 : de 64 à 82 nœuds (153 km/h)

- « « 2 : de 83 à 96 nœuds (177 km/h)

- « « 3 : de 97 à 113 nœuds (209 km/h)

- « « 4 : de 114 à 134 nœuds (248 km/h)

- « « 5 : au-delà de 134 nœuds

tous ces vents étant mesurés hors rafales pouvant majorer ces vitesses établies de 30 à 50%.

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Les conditions nécessaires pour la mise en route du phénomène cyclonique sont les suivantes :

- une zone dépressionnaire instable créant de forts courants ascendants d’air chaud (il faut voir une dépression en trois dimensions comme une cheminée élevant rapidement de l’air chaud, quand c’est un ouragan c’est un feu de cheminée !)

- pour l’alimenter l’air environnant au niveau de la mer est aspiré par le bas de la cheminée. Ces vents sont déviés par l’effet de la rotation de la terre (force de Coriolis) vers la droite dans l’hémisphère Nord. Les vents au niveau de la mer au lieu de se précipiter radialement vers le centre de la dépression vont donc s’enrouler autour de la cheminée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère boréal (Cela explique qu’il n’y a pas de cyclone au voisinage de l’équateur où la force de Coriolis est nulle).

- Pour alimenter cette gigantesque cheminée (David a atteint un diamètre de 600 à 800 milles !) qui s’élève jusque dans la stratosphère il faut de l’énergie. Elle est fournie par la chaleur de la mer permettant une forte évaporation de l’océan vers l’atmosphère. Il faut une température d’eau de mer d’au minimum 26°sur au moins 60m d’épaisseur pour que le phénomène puisse s’amorcer et s’entretenir. C’est là le moteur du cyclone. Cela explique qu’il n’y a pas de cyclones en Atlantique Sud car l’eau de mer n’y est pas assez chaude. Mais il y a des dépressions ayant d’autres origines que tropicales pouvant provoquer des ouragans en hémisphère Sud comme l’ouragan de catégorie 3 qu’a subi Balthazar dans le Grand Sud, près du détroit de Le Maire. Voilà ce que la nature a inventé pour évacuer les trop pleins d’énergie accumulée par le soleil chauffant les régions tropicales, au-delà des vents alizés normaux et des courants marins associés. Cela explique aussi que le pic de la saison des cyclones est situé en Août/Septembre, quand la mer des Tropiques est à sa température la plus chaude (voisine de 30° en surface). La période de risques s’étend de début Juin à fin Novembre suivant à peu près une courbe de Gauss. On a cependant répertorié (depuis le XVIIième siècle) des cyclones tous les mois de l’année (sauf le mois d’Avril), mais la fréquence ne devient significative (bien que très exceptionnelle) qu’à partir de Juin et avant fin Novembre. Le service de surveillance des Hurricanes de la NOAA américaine exerce une surveillance permanente avec diffusion de bulletins réguliers d’alerte et de suivi depuis ses bureaux de Miami du 1er Juin jusqu’au 30 Novembre. Cela vous explique que je me sois fixé le 1er Juin pour être sorti de leurs trajectoires, encore que certains remontent affaiblis jusqu’en Virginie, d’autres ayant l’incroyable culot de montrer leur queue jusqu’en Europe en réussissant à s’insérer dans la circulation générale des vents d’Ouest de nos latitudes !

Pour terminer avec cette digression cyclonique je ne vous cache pas que je garde discrètement un œil sur mon récepteur Navtex sur lequel je reçois les bulletins de la NOAA qui me préviendraient si une onde tropicale prenait une vilaine allure (moins de 10% des ondes tropicales se transforment en ouragans). Je m’efforce aussi d’identifier lorsque c’est possible à deux jours de navigation maxi un trou à cyclone où planquer Balthazar. Mais la combinaison des vents et des raz de marée pouvant atteindre 4 mètres laissent peu de chances de survie sans sérieux dégâts face aux ouragans de catégorie 4 ou 5 qui font traverser des halls d’hôtel à des cargos en les abandonnant au milieu de parkings dévastés. On a du mal à se représenter la quantité astronomique d’énergie mise en œuvre dans un cyclone mais elle se calcule. Inutile de vous dire qu’une bombe nucléaire, même à hydrogène, est de la roupie de sansonnet à côté. La rotation des vents et de la houle énorme si l’œil passe près empêche de se défendre d’une direction particulière. C’est pour cela qu’il faut un trou tout azimut et avec très peu d’eau. Ces abris sont bien rares et surpeuplés dans ces situations !

Attention aux impacts quand les cocotiers volent à l’horizontale (comme l’a vu et vécu Alain, cousin regretté d’Anne-Marie, dans les Antilles). Attention aussi aux tôles volantes ainsi qu’au coup horrible du sablage, comme ces pauvres gens faisant du coprah sur une île très basse voisine de Madagascar qui se sont faits écorcher vivant et ont ainsi connu une mort atroce en ayant perdu toute leur peau par la force de décapage du sable projeté à grande vitesse, alors qu’ils avaient grimpé sur les cocotiers pour se sauver de la montée des eaux !

Nous nous arrachons à cette petite plage de rêve pour nous rendre dix huit milles plus loin et avant la nuit à Hope Town. Nous retrouvons la navigation dans les Exumas où l’œil est rivé sur le sondeur ou sur la couleur de l’eau car il faut circuler dans des fonds de 2 ou trois mètres, parfois moins, en évitant les Cays et autres patates ou bancs de sable. J’ai soigneusement recalé la carte électronique de détail pour que le GPS nous place là où nous sommes réellement à une dizaine de mètres près et ça marche mais il faut rester sur ses gardes et passer lentement les passages les plus justes comme le chenal d’entrée d’Hope Town (26°32’N 76°58’W) où notre dérive presque complètement rentrée, mais pas totalement pour servir d’alarme et de frein (j’ai alors sous le bateau une dérive robuste et qui se relève d’elle-même en cas de contact ou de choc, inclinée à moins de 15° par rapport à l’horizontale), a effleuré le sable du fond dans 1,5 mètre d’eau.

Nous pénétrons au coucher de soleil dans cette petite baie bien protégée et prenons un corps mort. Un américain peu courtois d’un voilier voisin nous lance sans autre préavis et sans même nous saluer un « I was first here ! », alors que je suis moi-même avant qu’il m’interpelle en train de lui dire que nous sommes un peu trop près pour l’évitage (le guide m’indique que ces corps morts sont pour des bateaux ne faisant pas plus de 44 pieds, les 57 pieds de Balthazar le rende évidemment plus encombrant, il faudrait d’ailleurs que je l’abandonne si des vents forts étaient annoncés) et que je vais aller prendre un autre corps mort plus loin, Je cherche où est caché son avocat. Pauvres gens desséchés qui ne pensent plus qu’à leur DROIT même dans leur vie quotidienne, à en oublier toute civilité ou altruisme. « First come, first served », en dehors de ce leitmotiv point de sentiment ni de salut ! Mais où sont passés les marins de Patagonie qui se serrent sur plusieurs rangées à couple en prenant vos amarres avec un grand sourire ? Nous allons tranquillement prendre un corps mort plus loin en lui souhaitant une bonne soirée pour ne pas nous abaisser à son misérable niveau. Le caniche rentre dans sa niche, nous espérant qu’il ait perçu l’immensité de notre commisération à son égard, mais c’est probablement un espoir vain.

De coquettes petites maisons aux couleurs pastel les plus variées, roses, vertes, bleues, turquoises, vertes, jaunes, saumon éclairées par le soleil couchant entourent cette petite baie fermée d’une centaine de mètres de diamètre. Un phare ancien ceint d’anneaux blancs et rouges comme un candy veille, à côté du chenal d’entrée, sur ce havre de paix. A terre de petites pistes cimentées serpentent, sur lesquelles circulent sur des Karts de golfe la plupart des locaux, en particulier les femmes noires obèses, ainsi bien entendu que les américains. Que deviendront leurs petits enfants ? des énormes culs de jatte ? De splendides flamboyants égaillent ces habitations modestes mais soignées pour la plupart.

Mardi 24 Mai, 14h. Au moment du départ de ce très joli endroit nous profitons d’une pompe diesel qui nous tend les bras, en fait ses pilotis en bois, pour faire le plein à ras bord me permettant non seulement de vérifier le bon fonctionnement du débitmètre du moteur et de peaufiner son étalonnage mais surtout de disposer de toute l’autonomie de Balthazar jusqu’à notre arrivée à Chesapeake. En avant pour un nouveau gymkhana qui nous emmène à Green Turtle Cay 26 milles plus loin, toujours cap au WNW. Peu avant le coucher de soleil l’ancre plonge par 26°47’N 77°20’W, devant New Plymouth, petit bourg de pêcheurs blotti autour de son port ensablé. Promenade dans l’île et le bourg, apéritif sur la terrasse d’un petit caboulot créole, retour en zodiac de nuit et échouage car on a manqué un poteau du chenal ; s’échouer en annexe il faut être aux Bahamas pour que cela arrive, rigolade ! Non, nous n’avions pas encore bu notre Ti’Punch.

Mercredi 25 Mai. Mouillage sauvage sur la route, baignade, déjeuner, devant la belle plage de l’île inhabitée de Powell Cay. Etape en fin d’après midi à AllansPensacola Cay, deux Cays désertes antérieurement séparées qu’un cyclone a réunies il y a quelques années, créant ainsi un mouillage bien protégé mais toujours avec peu d’eau.

Le lendemain matin sur route, alors que j’essaye par VHF de contacter sans succès la petite marina de Walkers Cay, tout au Nord des Bahamas, où j’ai prévu de faire la dernière étape et la clearance de sortie avant de mettre le cap sur les USA, une voix courtoise et non identifiée m’apprends que la marina est fermée et à l’abandon, mais que le bureau de « customs et immigration » est toujours actif. A 14h15 l’ancre plonge devant le petit bourg de pêcheurs de l’île voisine de Little Grand Cay, dans un chenal d’eau très claire balayé par le courant, bien protégé entre cette Cay, Grand Cay et plusieurs autres petites. Endroit où nous rencontrons un beau catamaran français, Banana, premiers compatriotes rencontrés depuis notre départ de Martinique. Nous bavardons avec plaisir avec le jeune couple sympathique qui vient nous rendre visite. Ils arrivent d’Afrique du Sud où ils ont fait construire leur monture, via Sainte Hélène, Fernando de Noronha, Kourou et la Guyane qui les a séduits et retenus plusieurs semaines, puis les Caraïbes. Ils ont aimé le pays de Mandela où ils ont vécu plusieurs années avec leurs quatre enfants ; mais l’insécurité qui règne et s’aggrave à Capetown où ils travaillaient les a finalement décidé à partir et rentrer au pays après l’année sabbatique qu’ils s’offrent actuellement. Leurs deux aînés sont à l’Université américaine de Montréal pour qu’ils acquièrent bien la langue et la culture américaine tout en conservant leur français, les deux plus jeunes sont à bord et suivent les cours du CNED.

Andrew, un local sympathique et dégourdi, ayant entendu mon appel à la VHF du bureau des douanes et immigration de Walkers Cay vient avec son canote équipé d’un puissant hors bord accoster Balthazar et me proposer de m’y emmener tout de suite faire ma clearance de sortie des Bahamas car il y emmène une américaine qui vient d’arriver de Floride sur une vedette rapide équipée pour la pêche au gros. Me voilà parti plein pot sur ce tapecul de première qui file à plus de 25 nœuds au milieu des Cays. Cinq milles plus loin nous arrivons à Walkers Cay. Spectacle désolant de la marina à l’abandon et interdite, de la digue à moitié détruite, de quelques vedettes coulées dont seules émergent les superstructures. L’hôtel est bien entendu également fermé. Voilà ce qu’il reste d’une petite île très active et appréciée des américains il y a quelques années. Andrew m’explique qu’après trois hurricanes en deux ans les investisseurs ont jeté l’éponge, les assureurs probablement aussi. Dans un shelter climatisé au bord de la piste d’avions de tourisme encore en activité (pour les bateaux et les avions de tourisme en provenance de Floride Walkers Cay est un point d’entrée très commode) la clearance est vite faite.

Retour à Little Grand Cay. Au moment où nous accostons Balthazar Mimiche me crie qu’Eckard vient de se faire très mal. Je saute à bord et le trouve agenouillé face ensanglantée posée sur une marche de la jupe arrière. Il venait à l’instant de se relever brusquement en heurtant violemment de son front le câble d’acier de la filière qu’il avait oublié d’ouvrir. Le crâne, c’est bien connu saigne beaucoup, davantage encore lorsqu’on est comme lui sous anticoagulant. Nicole, sa dentiste de compagne assistée par le capitaine aide soignant lui fait un pansement de compresses stériles imbibées de spray antiseptique sur la large plaie de son front scalpé où il manque un gros morceau de peau. La pharmacie du bord étale bien et une heure après Eckard est en forme, ayant retrouvé son humour, un gros pansement transparent et étanche retenant son épanchement, pansement impressionnant quand même qu’il cache sous son chapeau à larges bords en tissu de madras, prêt à aller visiter le bourg et manger un lobster chez Rosie.

Ce village est animé. Il vit de la pêche car au large, dans les blue waters qui plongent dans les grandes profondeurs à quelques milles seulement des cays, les gros poissons semblent abonder : king fish, marlin, woohoos, groopers… Plus près dans les faibles profondeurs sableuses les lambis (très gros coquillages aux fines couleurs dégradées de rouge et de rose) se multiplient. Dans les récifs de coraux se cachent les langoustes. Dans une barque accostée à un ponton deux pêcheurs trie et nettoie des monceaux de lambis (conchs en anglais) en nous lançant un sourire accueillant. Sur le quai des hommes vident et découpent des poissons qu’ils vendent aux femmes faisant leurs modestes emplettes. Aux deux pontons de bois sont accostés quelques bateaux américains équipés pour la pêche au gros. Michel (Guyot), mordu de pêche, même dans tes rêves tu n’as pas imaginé l’un de ces canotes devant lequel je tombe en arrêt : propulsé par trois énormes hors bord Yamaha de 350 CV chacun (1000CV pour un canote assez long mais léger qui doit déplacer moins de deux tonnes !) pour se rendre je suppose plus vite sur les lieux de pêche (et venir faire en weekend prolongé une partie de pêche depuis la Floride), je dénombre pas moins de 19 cannes à pêche à poste, aux moulinets rutilants et impressionnants. Des américains débarquent leur poisson qu’ils donnent aux autochtones, un autre de ces passionnés avec qui Eckard bavarde trie et découpe un poisson sur un étal installé sur le ponton pour préparer son barbecue. Promenade dans le bourg où l’on s’active pour reconstruire en dur et en coloré les maisons détruites par les récents hurricanes. Que cela doit être impressionnant et angoissant de se terrer dans des endroits précaires alors que le monstre approche puis hurle et emporte tout sous des trombes d’eau. Habitants accueillants et joyeux qui ne revendiquent rien mais se débrouillent apparemment fort bien bravo ! C’est modeste mais pas misérable. Une école et une clinique flambant neuves payées par le gouvernement des Bahamas permettent à cette petite population sympathique et courageuse de vivre pratiquement en autarcie isolée dans son coin de Paradis.

Retour sur Balthazar après avoir dégusté des lobsters au beurre fondu chez Rosie.

La météo est favorable. Demain nous appareillerons en route directe sur le Cape Hatteras, Chesapeake et les USA.

Aux parents et ami(e)s qui nous font la gentillesse de s’intéresser à nos aventures nautiques.

Equipage de Balthazar : Jean-Pierre, Eckard (Weinrich) et Nicole (Delaitre), Mimiche (Durand)